Perspectives 2023

Quelle année difficile nous venons de vivre! Nous sommes forcés d’admettre qu’une tempête parfaite a frappé nos portefeuilles en 2022. Alors qu’au début de l’année 2022 nous vivions toujours une période d’expansion économique marquante et une croissance du PIB fulgurante, le contexte économique changeant et les événements géopolitiques qui se sont manifestés dès février ont perturbé les marchés. En effet, la combinaison d’un consommateur disposant d’un pouvoir d’achat et d’une chaine d’approvisionnement affaiblie a créé une pression inflationniste qui a poussé les banques centrales à hausser les taux d’intérêt à une rapidité historique.

Comme firme et gestionnaires de portefeuilles, nous avons toujours cherché à évoluer. Après les résultats décevants de la dernière année, nous n’avions pas le choix d’en prendre leçon, de chercher à comprendre où notre approche a manqué et quels sont nos points à améliorer pour retrouver une performance comme nous avons eu dans le passé. Nous avons appris qu’une simple variable mauvaisement calibrée pouvait amplifier son impact et donc, comme plusieurs économistes et investisseurs, nous avons sous-estimé l’impact de l’inflation et surtout l’approche agressive que les banques centrales ont prise avec une série de hausses de taux.

Depuis la pandémie, les changements de cycles économiques se font à une vitesse accélérée et l’écart entre les économistes les plus optimistes et les plus pessimistes est vaste, alors que de prévoir et d’anticiper devient de plus en plus complexe. À cet égard, nous nous affairons à trouver des solutions qui s’imposent afin d’être en mesure de mieux anticiper le futur rebond.

2023

Cela étant dit, nous amorçons l’année 2023 avec un espoir de rebondissement et d’opportunité. La majorité des frictions macroéconomiques sont connues, le risque de récession semble déjà être anticipé par les investisseurs. Les banques centrales devraient bientôt mettre fin aux montées de taux d’intérêt et une rotation vers une phase de cycle économique plus favorable aux actifs risqués pourrait bien s’amorcer cette année.

La rapidité à laquelle cette rotation s’amorcera dépendra toutefois du chemin que l’économie prendra, à savoir si nous allons réussir ou pas à éviter une récession, à savoir si les banques centrales auront réussi leur pari.

Deux scénarios principaux semblent être à l’horizon pour 2023, celui où nous tombons en récession et celui où nous l’évitons. Selon les derniers recensements compilés par Bloomberg (voir tableau 1 ci-dessous), nous avons 65 % de chances, selon la médiane des économistes, de tomber en récession autant aux États-Unis qu’au Canada.

Cependant, toujours selon les données, la récession serait relativement faible et il y a encore des chances que les banques centrales réussissent leur pari d’éviter que l’économie ne tombe en récession profonde. Nous pouvons voir dans le tableau 1 ci-dessous que le PIB projeté du Canada et des États-Unis tomberait négatif pour 2 trimestres consécutifs (définition d’une récession), mais la profondeur du ralentissement semble toujours limitée.

Tableau 1 : Probabilité de récession aux États-Unis et au Canada

Source : Bloomberg, janvier 2023

Dans le scénario d’une récession, les marchés boursiers ont tendance à rebondir avant l’économie et par le fait même, contribueraient à la rotation vers la prochaine phase du cycle économique, soit la reprise qui a toujours été par le passé une période beaucoup plus favorable aux actions.

Dans ce scénario, il est possible de penser que le S&P 500 pourrait revisiter ses plus bas niveaux de 2022 et l’éventualité d’aller légèrement plus bas demeure, car historiquement, aucun marché baissier n’a été conclu avant le début d’une récession. Toutefois, comme la Réserve fédérale des États-Unis (FED) devrait par le fait même arrêter ses hausses au premier quart ou aussitôt que la récession est déclarée, on peut s’attendre à ce que ces bas temporaires ne durent pas bien longtemps.

Dans le second scénario où l’on évite la récession, les bas de 2022 pourraient demeurer intacts et les indices reprendraient leurs cours normaux et se réajusteraient graduellement aux bénéfices par actions des sociétés. Dans ce contexte, nous pouvons penser que les hausses de taux d’intérêt continuent quelque temps, mais ce serait beaucoup moins agressif qu’en 2022. En fait, elles devraient avoir lieu au cours de la première moitié de l’année pour ensuite s’ajuster en fonction de l’évolution de l’inflation.  

Peu importe le scénario, on observe qu’historiquement, les marchés boursiers ont eu tendance à se stabiliser environ quatre mois après la dernière hausse de taux. Ainsi, au regard de ce qu’on a pu lire précédemment, les deux scénarios nous proposeraient un début d’année volatil et une deuxième moitié d’année qui devrait rebondir et se diriger vers le prochain marché haussier.

Taux d’intérêt et inflation

L’inflation et les hausses de taux d’intérêt ont été le sujet de l’heure tout au cours de 2022 et nous sommes forcés d’admettre que ce sera encore le cas en ce début d’année 2023. Maintenant bien avancée dans le cycle, la grande question demeure à savoir si les banques centrales vont réussir leur pari de ralentir l’inflation grâce aux hausses de taux sans toutefois pousser l’économie en récession.

Pour penser être en mesure d’y répondre, il faut tout d’abord s’attarder à projeter si les hausses de taux tirent à leur fin. Actuellement, toujours selon les derniers recensements compilés par Bloomberg (voir Graphique 1 et 2 ci-dessous), nous assisterions à deux dernières hausses de taux aux États-Unis au premier trimestre de 2023 pour ensuite prendre une pause. Au Canada, les données suggèrent une dernière hausse de taux au mois de mars pour ensuite se stabiliser et possiblement même commencer à descendre vers la fin de l’année 2023. Ce pivot aurait plutôt lieu en début 2024 du côté des États-Unis.

Graphique 1 : Projections des hausses du taux directeur aux États-Unis

Source : Bloomberg, janvier 2023

Graphique 2 : Projections des hausses du taux directeur au Canada

Source : Bloomberg, janvier 2023

Les objectifs principaux de la FED sont l’emploi, la stabilité des prix et les taux d’intérêt à long terme. Avec une inflation hors de contrôle, la FED n’a pas eu d’autres choix que d’augmenter les taux d’intérêt pour stabiliser les prix. La FED a mentionné à plusieurs reprises être consciente que l’inflation vient d’une demande soutenue, mais également d’une chaine d’approvisionnement affaiblie. Nous espérons que la réouverture de la Chine aura un impact qui se fera ressentir rapidement sur la chaine d’approvisionnement.

Enfin, nous pouvons commencer à constater que les hausses de taux d’intérêt et les mesures de resserrement se font ressentir et pouvons affirmer que la stratégie des banques centrales semble fonctionner, car l’inflation est maintenant sur une tendance baissière et aurait atteint son sommet au deuxième quart de 2022. La projection des économistes quant à l’inflation pour 2023 serait de 3,9 % au Canada et de 4 % aux États-Unis (voir tableau 2 et tableau 3 ci-dessous).

Tableau 2 : Évolution de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis et sa projection

Source : Bloomberg, janvier 2023

Graphique 3 : Projection de l’évolution de l’indice des prix à la consommation aux États-Unis par trimestre

Source : Bloomberg, janvier 2023

Tableau 3 : Évolution de l’indice des prix à la consommation au Canada et sa projection

Source : Bloomberg, janvier 2023

Graphique 4 : Projection de l’évolution de l’indice des prix à la consommation au Canada par trimestre

Source : Bloomberg, janvier 2023

Marchés boursiers, bénéfices par actions et anticipation des analystes

Au risque de nous répéter, les marchés boursiers ont tendance à devancer l’économie et devraient possiblement rebondir plus rapidement. Historiquement, les marchés ont en moyenne rebondi quatre mois avant la fin d’une récession (voir graphique 5 ci-dessous). Dans l’absence d’une crise majeure, la récession, si elle a lieu, devrait être rapide et moins profonde.

Le graphique 5 ci-dessous est particulièrement intéressant : on y retrouve nos 2 scénarios, celui où l’on tombe en récession, celui où on l’évite. Il s’agit de l’évolution moyenne sur 12 mois des marchés baissiers que nous avons connus depuis la Première Guerre mondiale, selon le cas où nous sommes ou pas tombés en récession. Cette évolution tient compte que la récession prendrait fin dans 9 mois ainsi que les 3 mois suivants. On constate que peu importe le scénario, à partir de la mi-année, la tendance des marchés serait vers le haut.

Graphique 5 : Évolution moyenne sur 12 mois du S&P500 dans un scénario de récession et dans un scénario de non-récession depuis la Première Guerre mondiale

Source : NDR, janvier 2023

Autre statistique intéressante, les marchés ont historiquement eu tendance à se stabiliser en moyenne quatre mois après la dernière hausse de taux d’intérêt. Étant donné que nous entrevoyons que celle-ci pourrait avoir lieu au premier quart, la possibilité d’un rebond important en deuxième milieu d’année devient très plausible.

Historiquement, les bénéfices par action (BPA) de société ont eu tendance à rebondir un ou deux quarts après la fin de la récession, donc si nous estimons que la récession se terminerait autour du mois de septembre, nous aurions tendance à croire qu’une reprise de la croissance des BPA soutenue pourrait revenir au premier quart de 2024. Or, le rebond des BPA pourrait se concrétiser légèrement plus tôt cette fois-ci dû au fait qu’ils ont atteint leur sommet relativement rapidement, soit au début du deuxième trimestre 2022. À l’heure actuelle, les anticipations démontrent un retour à la croissance des BPA à partir du deuxième trimestre 2023 (voir Tableau 4 ci-dessous).

Tableau 4 : Anticipation des BPA du S&P 500

Source : Bloomberg, janvier 2023

Le secteur de la technologie pourrait être un des leaders du rebond, considérant le poids que ce dernier a au niveau des indices et sa sous-performance en 2022. Ce secteur est généralement un peu plus sensible aux montées de taux d’intérêt. Il est permis de croire qu’il surperformera lors du rebond et d’autant plus lorsque l’on commencera à anticiper des baisses de taux d’intérêt. À cet égard, nous pouvons constater que les anticipations au niveau de la croissance des BPA du secteur de la technologie seront parmi les plus fortes, soit aux alentours de 14,20 % de croissance du BPA en 2023.

Quand nous regardons les prix cibles moyens agrégés des différents indices, l’écart entre le prix cible et les moyennes des indices nous offre en ce moment un portrait du rebond potentiel. L’écart entre le prix du S&P 500 et le prix cible des sociétés est de 15,7 %, celui du TSX est de 16,3 % et celui du Nasdaq est de 27,5 %, pourrait offrir un potentiel de surperformance intéressant spécialement avec la sous-performance enregistrée en 2022 (selon les recensements de Bloomberg en janvier 2023).

Le pessimisme élevé des investisseurs pourrait bien également contribuer au rebond éventuel. Effectivement, l’indice AAII Bear (indice qui reflète le sentiment des investisseurs au courant des six prochains mois) semble avoir atteint son sommet. Quand nous le comparons avec le sommet atteint pendant la pandémie, nous pouvons voir que 2022 a été une année où les investisseurs ont été généralement plus négatifs qu’à l’habitude et un retour du balancier pourrait très bien créer un effet positif et contribuer à soutenir le rebond.

Graphique 6 : L’indice AAII Bear

Source : Bloomberg, janvier 2023

Obligations

Serait-ce l’année du revenu fixe ? Avec la série de montées de taux d’intérêt, la valeur des obligations s’est également fait malmener en 2022. Cependant, quand nous regardons les probabilités de hausse de taux d’intérêt actuellement, les données suggèrent que nous arrivons près de la fin. Le moment pourrait être opportun pour les investisseurs de commencer à bâtir des positions avant le sommet des hausses parce qu’il ne faut pas oublier que les marchés cherchent à anticiper et qu’une fois les hausses officiellement terminées, les taux d’intérêt pourraient déjà avoir descendu fortement et ainsi être moins alléchants.

Le coupon d’intérêt d’une obligation de 2 ans américain est actuellement plus élevé que celui d’une obligation de 10 ans. Or, normalement dans un contexte de marché haussier, le coupon des obligations long terme est supérieur à celui des obligations court terme. Nous vivons donc une inversion de la courbe des taux d’intérêt et celle-ci perdure depuis un bon moment. Le retour à une norme viendrait confirmer le début de la nouvelle phase du cycle économique et la solidité du rebond du prochain marché haussier. Si on s’attarde au graphique 7 ci-dessous, un retour au-dessus de zéro correspond à une normalisation de la courbe.

Graphique 7 : Courbe obligataire 2 ans / 10 ans

2023 : les risques et les dangers

En tant qu’investisseurs, nous demeurons toujours vulnérables aux surprises et aux événements non contrôlables, qu’ils soient de nature économique, géopolitique ou même naturelle. Il y aura toujours une série de facteurs de risque et à cet égard, voici les éléments incertains que nous entrevoyons pour 2023 :

- Est-ce que la Réserve fédérale réagira trop tard et poussera l’économie en récession ?

- Est-ce que la réouverture de la Chine pourrait créer une poussée de l’inflation à court terme avant que l’impact de la normalisation de la chaine d’approvisionnement se fasse ressentir, ce qui pousserait les banques centrales à être encore potentiellement plus agressives dans leurs futures hausses de taux ?

- Est-ce qu’une récession pourrait faire chuter le prix des commodités ? Ou, pourraient-ils être contre-balancés par l’augmentation de la demande alors que la Chine se prépare à une réouverture de son économie ?

- Où nous en allons-nous avec la guerre en Ukraine ? Est-ce que la Russie pourrait recourir à l’utilisation d’armes qui pousseraient la planète à réagir différemment ?

- Est-ce que la Chine pourrait envahir Taïwan et déclencher un conflit dans la région du Pacifique ?

Une série de risques et d’opportunités s’offre à nous pour 2023, mais pour les investisseurs ayant une vision à long terme, les opportunités qui se présentent pourraient être très alléchantes et le fait de privilégier une approche « Acheter le bas du marché » devrait être bénéfique long terme.

À quoi peut-on s’attendre ?

En conclusion, plusieurs scénarios se présentent encore à nous cette année, mais les deux principaux demeurent : récession ou pas.  

Le premier quart devrait forger le ton au niveau de la montée des taux d’intérêt, donc nous nous attendons à un premier et deuxième quart volatil, et ce, avec ou sans récession. Si toutefois, on se concentre à adopter une vision à long terme, de superbes opportunités pourraient se présenter au courant de la première moitié de l’année.

Pour ce qui est de la deuxième moitié de l’année, nous envisageons un début du retour vers une certaine normalité ainsi qu’un changement de phase de cycle économique, pour retourner graduellement vers une expansion.

Les obligations offrent des opportunités qui deviennent très alléchantes considérant que les montées de taux d’intérêt devraient se stabiliser sous peu. Les dépôts à terme, pourraient quant à eux, avoir atteint leur sommet et devenir de moins en moins intéressants plus on avancera au cours de l’année. Le marché boursier sera quant à lui dépendant du scénario de récession à court terme, mais demeure l’achat à long terme qui devrait être le plus intéressant.

Historiquement, dans un contexte de changement de cycle économique, nos stratégies chez Pratte ont normalement connu un fort succès. Notre approche basée sur la croissance des BPA pourrait très bien encore être très favorable cette fois-ci, spécialement en deuxième moitié d’année.

Le retour d’un portefeuille équilibré typique à 60 % actions et 40 % obligations, avec la désynchronisation des classes d’actifs, pourrait avoir un très bon succès en 2023. Effectivement, les obligations et les actions devraient recommencer à se négocier en contre-balancier et avec l’opportunité qu’offrent à court terme les obligations et le rebond potentiel des actions en deuxième moitié d’année, un profil équilibré devrait reprendre ses lettres de noblesse.

PHILIPPE PRATTE
PRÉSIDENT | CHEF DES INVESTISSEMENTS | GESTIONNAIRE DEPORTEFEUILLE

DANIEL CLÉMENT, CFA, PL. FIN.
GESTIONNAIRE DE PORTEFEUILLE

RAYMOND PRATTE, CFP, CIM
VICE-PRÉSIDENT | CHEF DE LA CONFORMITÉ | GESTIONNAIRE DEPORTEFEUILLE